Cet article est le deuxième d’une série sur le programme Connexion présentée dans 360.
L’équipe Connexion est formée de deux travailleurs sociaux et d’une infirmière, qui foulent les rues de Montréal pour créer un lien avec les itinérants déconnectés des services offerts dans notre CIUSSS.
Myriam Kaszap, infirmière en itinérance depuis huit mois, et Judith Sigouin, travailleuse sociale pour Connexion depuis 2013, parlent à 360 de ce programme unique coordonné par le CLSC Métro.
360 : Pouvez-vous nous décrire une journée typique pour vous?
Connexion : Une journée typique est une journée remplie d’imprévus. Nous pouvons nous dire : « Aujourd’hui, j’ai donné un rendez-vous à un client. Je vais passer au centre de ressources, puis au bureau pour prendre des notes et m’occuper des détails administratifs. » Mais ce serait inutile. Au moment où nous arrivons au refuge, il y a typiquement quatre personnes qui attendent avec de gros besoins, et ça déboule. Nous aimerions répondre que notre journée typique, c’est de prendre notre sac à dos et d’aller à la rencontre des clients dans la rue, puis d’assurer un suivi des cas d’il y a deux semaines, mais ça n’arrive presque jamais.
360 : Comment fixez-vous vos objectifs et comment savez-vous qu’ils sont atteints?
Connexion : La performance est très difficile à évaluer dans le travail de proximité. Notre objectif de base est de sortir la personne de la rue, de nous assurer qu’elle prend ses médicaments, de lui trouver un logement et de la mettre en relation avec des professionnels de la santé à long terme.
Ces objectifs sont difficiles à atteindre, même si nous y consacrons tout notre temps et tous nos efforts. Sur le plan de la performance, nous en faisons beaucoup, mais au point de vue des objectifs mesurables, on dirait que nous n’avons presque rien accompli.
Nous nous acquittons parfois de tâches qui semblent insignifiantes – comme ce matin, j’ai nettoyé quatre plaies – et c’est considéré comme une réussite. Mais quelle en est l’incidence dans le portrait global?
Une action peut changer la vie d’une personne – comment renvoyer une femme chez elle dans le Nord. Ces interventions nécessitent bien des appels, des accompagnements et des discussions. Mais chaque cas est différent. Il faut toujours changer notre manière d’intervenir.
Si une personne n’est pas connectée au système, nous ne savons pas à quel type de problème elle est confrontée : capacités cognitives, gériatrie, alcoolisme, une combinaison de ces trois possibilités, ou peut-être un trouble de la personnalité? Personne ne veut se mêler de ces cas, et tout le monde se renvoie la balle.
Voilà pourquoi chaque intervention est extrêmement longue. Il faut chaque fois avoir des discussions cliniques complexes et adapter notre approche, donc nous avançons à pas de tortue.
Une équipe qui travaille en santé mentale par exemple va se concentrer sur cet aspect de la santé d’un patient. Nous, nous nous occupons des gens avec de faux papiers, des cas de gériatrie pure qui devraient être placés en CHSLD et des questions relatives à la culture autochtone. Et bien entendu, les hommes et les femmes sont différents. La rue, c’est ça. Naviguer toutes ces différences et adapter notre approche à chacun de ces cas prend donc du temps.
360 : Pouvez-vous nous donner un exemple d’une intervention réussie?
Connexion : Récemment, deux femmes des Premières Nations ont été renvoyées dans leur région. Le processus a été long, mais il faut célébrer les petites victoires. Entendons-nous : leurs problèmes de santé sont loin d’être réglés, mais nous travaillions depuis longtemps à les renvoyer dans leur communauté, et nous avons réussi.
Ça nous a pris du temps parce que ces femmes souffraient d’alcoolisme chronique, et leur vol était long. Nous devions leur fournir un sédatif, mais elles n’avaient pas d’assurance-maladie. Les médecins sont très réticents à voir nos clients qui sont intoxiqués, donc le lien est difficile à faire. Après, nous avons dû négocier le billet d’avion avec les compagnies aériennes et décider avec les femmes de leur date de départ. Il faut travailler de façon concertée.
Dans environ la moitié des cas, la personne refuse de monter dans l’avion, ce qui nuit à notre relation avec la compagnie aérienne.
Il faut quand même respecter la volonté de la personne. Si elle veut retrouver sa communauté et sa famille, nous devons l’aider, que sa famille puisse lui offrir le soutien dont elle a besoin ou non. Un billet d’avion coûte très cher; en obtenir un gratuitement et s’assurer que le client ne gaspille pas cette occasion, c’est quand même une belle victoire. C’était tout un travail d’équipe!
360 : Que faites-vous quand un client refuse votre aide?
Connexion : Les gens que nous suivons régulièrement, nous pouvons facilement les garder à l’œil. Certains nous voient parler avec leurs amis et finissent par nous aborder. Mais si ça ne fonctionne pas, nous ne forçons personne.
Cela dit, si une personne est à risque, nous réévaluons la situation. Est-ce à la suite d’une décision éclairée qu’elle refuse notre aide, ou parce qu’elle est atteinte de délire psychotique ou de démence avancée?
L’itinérance n’est pas nécessairement un problème à régler. C’est un mode de vie pour certaines personnes. Il faut respecter leur rythme et leurs besoins. C’est notre responsabilité professionnelle de porter un jugement clinique minimal pour déterminer si la personne est en danger, en gardant toujours en tête sa volonté à elle.
360 : Suivez-vous toutes les deux les mêmes patients?
Connexion : D’habitude, non. Nous nous consultons. Nous connaissons les clients de l’autre. Et souvent, nous collaborons. Avec notre clientèle, il faut être généraliste.
360 : Quels types de médicaments avez-vous sur vous?
Connexion : Nous avons seulement accès à du Tylenol, de l’onguent, des seringues propres et des pansements. La plupart du temps, nous avons besoin de plus. Mais quand une personne n’a pas de carte d’assurance-maladie, c’est difficile. Des organismes peuvent l’aider, mais c’est plus compliqué. Nous devons faire le pont entre le système et le client, mais un gouffre les sépare souvent.
360 : Que faites-vous quand des soins plus spécialisés s’imposent?
Connexion : Les clients ne veulent pas rester longtemps sur une civière et souhaitent être traités avec respect. C’est pourquoi ils font le tour des hôpitaux. Notre responsabilité, c’est de les orienter vers les services. Certains services médicaux et psychiatriques sont seulement offerts dans le milieu hospitalier ou les centres de thérapie ou d’hébergement. Nous persévérons, même si nous ne pouvons pas toujours compter sur l’entière coopération des personnes qui ont besoin d’aide et des partenaires en mesure de l’offrir.