Dernièrement, l’un de ses patients de l’infirmière clinicienne Tiffany Qiu était anxieux. Il recevait un médicament par le biais d’une pompe intraveineuse et ce processus le rendait nerveux.
Mais la situation a changé soudainement quand Madame Qiu est entrée dans sa chambre : après avoir jeté un coup d’œil à une carte qu’elle arborait, le visage de cet octogénaire s’est illuminé.
« Oh, vous parlez mandarin! », s’est-il exclamé avant de se lancer dans une conversation animée avec Madame Qiu dans cette langue. Avant que ce patient quitte l’Hôpital, Madame Qiu avait pu non seulement calmer son anxiété, mais aussi lui fournir des renseignements essentiels, dans sa langue maternelle, au sujet des effets secondaires du médicament et de ses rendez-vous de suivi.
Cet échange, qui a eu lieu à l’Hôpital de médecine de jour à l’Hôpital général juif, a été possible grâce à une initiative de la Direction des soins infirmiers du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal. En effet, dans le cadre d’un projet pilote, outre leur carte d’identité d’employé, les professionnels comme Madame Qiu arborent une carte indiquant les langues qu’elles ou qu’ils parlent. Dans le cas de Madame Qiu, l’étiquette comporte Français, English, et, en caractères chinois, mandarin.
Le projet est fondé sur la philosophie selon laquelle la langue constitue un pont permettant de prodiguer de meilleurs soins aux patients, et que parler à ce dernier dans sa langue maternelle peut mener à de meilleurs résultats pendant une visite à l’Hôpital.
« Cette initiative est bénéfique aux patients parce qu’elle les rassure. Ils se sentent les bienvenus », explique Suzette Chung, chef d’unité de l’Hôpital de médecine de jour, qui est parmi les personnes à l’origine de ce projet. « Elle personnalise l’expérience des patients et nous permet de prodiguer des soins centrés sur eux. »
Outre cette carte, des affiches sont placées au sein de plusieurs unités de l’Hôpital pour encourager les prestataires de soin de santé à demander aux patients s’ils préfèrent communiquer en français ou en anglais. Le français est utilisé à l’échelle de notre réseau de santé; cependant, comme le gouvernement a désigné notre CIUSSS comme étant bilingue, l’anglais est également utilisé.
« Elle personnalise l’expérience des patients. »
Suzette Chung
« Nous voulons nous assurer que les patients savent qu’ils peuvent être servis en français ou en anglais, selon ce qu’ils préfèrent », précise Karine Lepage, coordinatrice clinico-administrative aux Départements de médecin et d’oncologie. « Nous savons également que notre CIUSSS accueille une clientèle très multiculturelle, et avons pensé qu’il s’agissait d’une excellente occasion d’établir un dialogue en d’autres langues. »
En fait, l’HGJ est à la hauteur de sa réputation de Nations Unies des hôpitaux. En effet, selon les résultats d’un sondage effectué en 2013, les patients sont originaires de 110 pays et parlent plus de 90 langues; de surcroît, la langue maternelle des deux tiers d’entre eux n’est ni le français ni l’anglais. Dans ce contexte, expliquent les infirmières et infirmiers, les cartes comportant les langues parlées ne peuvent qu’aider les patients.
« Il peut être difficile de s’y retrouver dans le système de soins de santé, surtout quand l’usager est un immigrant. En lui parlant dans sa langue maternelle, je peux m’assurer qu’il ne glisse pas entre les mailles du filet », dit Madame Qiu. « C’est une approche holistique aux soins. »
L’infirmière clinicienne Yolanta Kicinska, dont la carte de langues indique le polonais, dit que dernièrement une patiente de l’Hôpital de médecine de jour était tellement nerveuse d’être dans un hôpital qu’elle a fondu en larmes. Mais, dès qu’elles ont toutes deux réalisé que leur langue maternelle était la même, la patiente s’est détendue. « Je l’ai rassurée en polonais. Et elle m’a remercié », se souvient Madame Kicinska. « Cet échange a diminué son anxiété et lui a permis de s’exprimer dans une langue qu’elle connaissait bien. »
Madame Kicinska ajoute que les survivants de l’Holocauste nés en Pologne, dont plusieurs sont nonagénaires, sont ravis de saisir cette occasion de parler à Madame Kicinska dans sa langue maternelle. « Ils me disent qu’ils n’ont pas souvent la possibilité de parler polonais. La langue établit un lien. »
Le projet pilote, qui a d’abord été lancé par l’Hôpital de médecine de jour et par l’équipe de planification des congés, a été étendu à 15 domaines, dont la Médecine d’urgence, la Cardiologie, la Chirurgie et la Maternité. La carte de langues a également été envoyée au personnel des sites de vaccination de la région desservie par notre CIUSSS.
«En lui parlant dans sa langue maternelle, je peux m’assurer qu’il ne glisse pas entre les mailles du filet. »
Tiffany Qiu
Outre les avantages pour prodiguer des soins aux patients, le projet a mis en lumière la diversité des membres du personnel de notre CIUSSS, et la vaste gamme des langues qu’elles et qu’ils parlent. Par exemple, seulement au sein l’Hôpital de médecine de jour, les huit infirmières cliniciennes parlent collectivement sept langues en sus du français et de l’anglais, y compris le créole, l’espagnol et le tagalog. La Direction des soins infirmiers a inventorié plus de 30 langues parlées par le personnel du CIUSSS, de l’italien à l’arabe en passant par l’hindi et l’hébreu.
« Cet état de fait illustre la grande diversité de notre CIUSSS et notre capacité de servir les patients dans la langue de leur choix », de dire Madame Lepage, qui a piloté le projet au sein de la Direction des soins infirmiers.
Suzannah Vanson, la patiente partenaire bénévole à l’Hôpital de médecine de jour, dit que les patients se sentent « plus en sécurité et plus soutenus » quand un professionnel de la santé leur parle dans leur langue. Elle se souvient avoir reçu des soins il y a quelques années à l’HGJ, et s’être rendu compte au cours du traitement que l’infirmière qui la soignait parlait le néerlandais, la langue maternelle de Madame Vanson.
« J’ai automatiquement éprouvé une compréhension plus profonde. Je me sentais connectée d’une manière différente », se souvient-elle. Elle ajoute que l’initiative des cartes de langues souligne le caractère inclusif de l’HGJ. « C’est une manière de dire aux usagers : nous voulons communiquer avec vous, trouver ce qui vous met à l’aise et vous prodiguer de bons soins de santé. »
Jusqu’à présent, plus de 1 000 cartes de langues ont été distribuées au personnel des Soins infirmiers.