Écharpes, photos et mémoriaux : des rituels de deuil pour aider les proches à guérir du traumatisme de la COVID-19

La travailleuse sociale Zelda Freitas, coordinatrice du Domaine d’expertise en proche aidance au CREGÉS, dit que les rituels aident les personnes affligées à surmonter leur chagrin
La travailleuse sociale Zelda Freitas, coordinatrice du Domaine d’expertise en proche aidance au CREGÉS, dit que les rituels aident les personnes affligées à surmonter leur chagrin

Pour honorer la mémoire de leurs proches décédées des suites de la COVID-19, les résidentes d’un quartier de Montréal ont tricoté des écharpes de couleurs vives sur lesquelles elles ont brodé le prénom de leurs personnes chères : Gisèle. Jean-Guy. Pauline. Les écharpes seront cousues ensemble pour créer un mémorial des personnes décédées pendant la pandémie.

Ce projet est présenté dans un nouveau guide comme un exemple de rituel collectif de deuil pendant une période exceptionnelle. Produit en collaboration avec les chercheurs du Centre de recherche et d’expertise en gérontologie sociale (CREGÉS) du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal, ce guide explique l’importance de ces rituels pour appuyer le processus d’apaisement pendant la COVID-19.

Les résidentes d’un quartier de Montréal ont tricoté et brodé des écharpes pour rendre hommage à la mémoire de leurs proches. (Crédit : Facebook, Je me souviens 2020)
Les résidentes d’un quartier de Montréal ont tricoté et brodé des écharpes pour rendre hommage à la mémoire de leurs proches. (Crédit : Facebook, Je me souviens 2020)

Des projets de tricot aux galeries de photos commémoratives dans les centres de soins de longue durée, ces gestes collectifs de deuils permettent aux Montréalais affligés de se rassembler et, selon les auteurs du guide, « de donner un sens à ces morts tragiques ».

« Les rituels sont importants pour aider les personnes à surmonter leur chagrin. Ils symbolisent la perte et aident les proches à composer avec cette perte », dit Zelda Freitas, coordinatrice du Domaine d’expertise en proche aidance au CREGÉS.

Le guide de 17 pages, produit par la Direction de santé publique du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, prodigue des conseils à l’intention de toutes les personnes intéressées à organiser un événement de deuil, et explique les raisons pour lesquelles ces rituels sont importants.

Montréal a été l’épicentre de la pandémie de la COVID-19 au Canada, où le virus a fait de nombreuses victimes en peu de temps, expliquent les auteurs. Dans les centres de soins de longue durée, le virus s’est propagé « comme un ennemi invisible et sournois », et a fait des ravages parmi les résidents, les membres du personnel et les familles.

Plusieurs proches n’ont pas pu être présents au moment du décès de leur personne chère, et les rituels traditionnels, comme les funérailles, étaient interdits. « Il était pratiquement impossible de dire ‘au revoir’ de façon satisfaisante », cite le guide.

Cependant, ne pas pouvoir faire son deuil correctement peut entraîner une détresse psychologique dont les conséquences peuvent apparaître peu à peu, selon les chercheurs. Les personnes endeuillées peuvent ressentir les émotions les plus vives de trois à six mois après le décès d’une personne chère. Ces sentiments peuvent persister pendant une période allant jusqu’à 24 mois, d’après le guide.

« Historiquement, nous avons toujours parlé du chagrin comme d’une période limitée dans le temps », ajoute Madame Freitas, qui a contribué à la rédaction du guide avec Valérie Bourgeois-Guérin, chercheuse universitaire, et Isabelle Van Pevenage, chercheuse institutionnelle. « Nous savons maintenant que le sentiment de chagrin peut se poursuivre et que les personnes composent avec une perte de différentes manières tout au long de leur vie ».

Le guide fournit des exemples de rituels collectifs de deuil qui peuvent être bénéfiques. Au plus fort de la pandémie, un groupe à but non lucratif de Montréal projetait des images nocturnes sur les murs de l’Hôpital, de magasins et d’autres édifices. Les illustrations transmettaient des messages d’espoir. L’un des messages était « Bientôt, le ciel se dégagera », et un autre « Sachez que nous sommes avec vous ». Les personnes âgées confinées étaient invitées à sortir sur leur balcon pour lire ces messages.

Dans d’autres cas, les centres de soins de longue durée ont créé des espaces commémoratifs, où des photos et d’autres objets étaient placés pour rendre hommage aux victimes de la COVID-19. Certaines familles laissaient des anecdotes ou partageaient des moments de famille personnels de leurs proches.

Les chercheurs ont également constaté que les travailleurs de la santé éprouvaient eux aussi des difficultés. Dans les résidences de soins de longue durée, les membres du personnel « devaient fait face à la situation avec courage, jour après jour ». Le personnel « souffre aussi de voir partir ces personnes avec lesquelles un lien s’était tissé au fil des mois et des années de soins ».

Madame Freitas ajoute : « Il est bien documenté dans la recherche que le personnel soignant doit également composer avec les sentiments de deuil et de pertes qu’ils éprouvent dans le cadre de leur travail ».

Le guide, auquel les membres du service de soutien aux aide-soignants L’Appui ont participé, indique que les rituels de deuil aident les personnes affligées à reconnaître leur perte personnelle tout en ayant le sentiment d’appartenir à un groupe plus vaste. Et, les Montréalais en ont besoin de dire les auteurs. « Nous reconnaissons la catastrophe et le traumatisme vécus par les Montréalais », écrivent-ils. Au plus fort de la pandémie, les habitants de la ville étaient « tristes, honteux, inquiets, en colère, impuissants, désespérés ».

Les Montréalais ont déjà vécu des événements traumatisants, la tempête de verglas et la fusillade de l’École polytechnique pour n’en nommer que deux. Ils ont toujours surmonté ces épreuves, dit le guide. « Les Montréalais ont démontré par le passé leur capacité à faire face à l’adversité. »  Quel que soit le rituel choisi pour les aider pendant la pandémie du coronavirus, il est important de le faire ensemble.